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Jared Kushner est un mystère. Le gendre de Donald Trump, mari de sa fille préférée Ivanka, a tout du grand timide. Avec ses trois fossettes qui se creusent quand il sourit, sa peau lisse et sa coiffure sans un cheveu qui dépasse, il est d’une discrétion absolue, d’une politesse à toute épreuve, a une démarche un peu gauche et donne en permanence l’impression de s’excuser d’être là. Sa voix? On ne l’entend pour ainsi dire jamais.
Mais Jared Kushner, c’est un peu une poupée russe, version Ken. Car derrière cette apparente placidité et une personnalité qui contraste singulièrement avec celle, extravertie et mégalomaniaque, du remuant président, se cachent d’autres Jared Kushner. Il est discret, mais redoutablement omniprésent et influent. Inoffensif en surface, mais très actif en coulisses, dans son rôle de conseiller spécial du président, capable de s’opposer à son beau-père, qui n’aime pas la contradiction, et d’animer une guerre des clans qui fait rage à la Maison-Blanche. Derrière ses airs de petit garçon sage, le sourire en coin, il peut se montrer impitoyable, féroce et manipulateur. Jared Kushner, 36 ans, n’a jamais caché avoir peu d’atomes crochus avec le controversé Stephen Bannon, autre fidèle de Donald Trump. Et il le fait bien savoir.
Il a la confiance absolue de Donald Trump. C’est son homme de l’ombre, son éminence grise. Il le conseille surtout en politique étrangère. Donald Trump lui a confié plusieurs missions, et pas des moindres: réformer l’Etat fédéral, régler les contentieux avec le Mexique ou encore «faire la paix au Proche-Orient». Il a commencé à «émerger» pendant sa campagne en étant un des architectes de sa stratégie numérique.
Le président a sa fameuse tour noire à Manhattan, lui un bâtiment un peu moins bling-bling à quelques centaines de mètres, mais très emblématique: le dénommé 666 Fifth Avenue, acheté en 2007 pour la somme record de 2 milliards de dollars. Il n’avait alors que 26 ans. Une année auparavant, il avait racheté un hebdomadaire, le New York Observer. Promoteur prometteur et précoce, Jared Kushner était jusqu’à il y a peu à la tête de son empire immobilier Kushner Properties. Il a démissionné de ce rôle pour éviter toute accusation de conflits d’intérêts, mais continue d’engranger des bénéfices de nombreuses holdings familiales. Entre 2007 et 2016, sa société aurait investi près de 7 milliards au total dans l’immobilier à New York. Selon des documents récemment diffusés par la Maison-Blanche, lui et sa femme perçoivent toujours des revenus de leurs actifs, qui valent entre 240 et 740 millions de dollars.
Ces jours, son nom apparaît de plus en plus souvent en lien avec l’enquête sur l'«affaire russe», qui ternit le début du mandat de Donald Trump. Jared Kushner intéresse le FBI. La police fédérale cherche à établir s’il existe une collusion entre l’équipe de campagne de Donald Trump et les Russes accusés d’ingérence dans la présidentielle américaine. C’est tout particulièrement la nature de ses liens avec l’ambassadeur russe Sergueï Kislyak, rencontré début décembre dans la Trump Tower, plus d’un mois avant l’investiture, qui intéresse les enquêteurs. Selon le Washington Post, il lui aurait proposé d’établir un canal direct et secret avec le Kremlin. Ses contacts avec le directeur de la Banque russe de développement Vnesheconombank, contrôlée par des proches de Vladimir Poutine, intriguent également.
Aux dernières nouvelles, Donald Trump envisage de lui confier la direction de la cellule de crise qu’il met en place pour réagir aux attaques, une war room entièrement consacrée à l’affaire russe. A moins que les révélations ne deviennent trop embarrassantes. Récemment, Donald Trump, que les fuites à répétition dans les médias rendent nerveux, n’a pas vraiment apprécié une vidéo dans laquelle une sœur de Jared Kushner fait miroiter à de potentiels investisseurs chinois certaines facilitations en raison de ses liens privilégiés.
Avec sa femme Ivanka, qui occupe également une fonction de conseillère du président, Jared Kushner forme un couple modèle. Ils sont tellement fusionnels, presque toujours vus main dans la main, que Tim O’Brien, l’un des biographes de Donald Trump, les surnomme «Javanka». Sa propre famille n’a pas vraiment véhiculé cette image. Son père, Charles Kushner, a fait de la prison, condamné en 2005 pour fraude fiscale et subordination de témoins. Promoteur immobilier, il était en guerre financière avec son frère et sa sœur, qui l’accusaient de malversations. Il a loué les services d’une prostituée pour piéger son beau-frère et a envoyé la cassette des ébats à sa sœur, espérant pouvoir la convaincre de se taire et de ne pas témoigner contre lui.
Jared Kushner, qui a l’oreille de Donald Trump, est lui aussi capable de coups tordus, mais dans un registre bien plus soft. C’est lui, dit-on, qui est à l’origine de l’éviction de Chris Christie, le gouverneur du New Jersey, un temps pressenti pour occuper une fonction dans l’entourage du président. Pour la simple raison qu’il avait, comme procureur, envoyé son père derrière les barreaux.
Issu d’une richissime famille juive orthodoxe proche des démocrates, il s’est marié en 2009 avec Ivanka Trump, après une première séparation. Sa femme s’est convertie au judaïsme pour lui, condition imposée par sa famille. Petit-fils de rescapés de l’Holocauste, Jared Kushner observe le shabbat dès le vendredi soir, et se concentre sur sa famille, en débranchant tout appareil électronique. Un jour par semaine au moins où les tweets intempestifs de son président de beau-père ne sont pas censés arriver jusqu’à lui.