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par Luke Baker JERUSALEM, 25 mai (Reuters) - Un chroniqueur des affaires militaires interrompt son émission et se livre à un monologue: "Je suis alarmé par ce qui se passe en Israël, dit-il, je pense que mes enfants devraient partir." L'ancien Premier ministre travailliste Ehud Barak évoque les "graines du fascisme" et Moshe Arens, qui fut ministre de la Défense à trois reprises, y voit un tournant dans la politique israélienne et parle de "séisme". Annoncée vendredi dernier avant d'être entérinée mercredi, la décision du Premier ministre Benjamin Netanyahu de confier le portefeuille de la Défense à l'ultranationaliste Avigdor Lieberman et de tourner le dos à un accord de coalition avec le centre gauche a provoqué la démission de l'actuel ministre de la Défense, Moshe Yaalon, et des réactions tumultueuses au sein de la classe politique. Moshe Arens, qui a été également ministre des Affaires étrangères et ambassadeur aux Etats-Unis, est l'un des mentors de Benjamin Netanyahu. Dans une tribune publiée dans le quotidien de centre gauche Haaretz, il a jugé que l'éviction de Moshe Yaalon marquait un tournant dans l'histoire politique d'Israël. "Un séisme politique est en vue. Cela prendra peut-être un peu de temps, mais il arrive." La décision de remplacer Yaalon par Lieberman a été la goutte d'eau de trop pour Roni Daniel, le chroniqueur militaire. "Je ne peux pas demander à mes enfants de rester ici parce que ce n'est pas un bon endroit pour rester", a-t-il dit dans son monologue, avant de citer un certain nombre de responsables d'extrême droite. En intégrant Israel Beitenu (Israël notre maison) dans son giron, le Premier ministre conservateur renforce sa majorité parlementaire, qui passe de 61 à 67 députés à la Knesset (120 élus). UNE "PRISE DE CONTRÔLE HOSTILE" Le programme d'Avigdor Lieberman, favorable à la colonisation, méfiant quant à des pourparlers de paix, adepte de la ligne dure contre les Palestiniens, correspond mieux aux membres de la coalition de droite au pouvoir que celui du centre gauche. Mais sa nomination signifie qu'il n'y aura plus aucun représentants des plus modérés au sein du gouvernement et que la personne en charge de la défense -- le deuxième poste le plus important du gouvernement après celui de Premier ministre -- sera un civil avec peu d'expérience militaire. Alors que l'état-major est déjà en désaccord avec le gouvernement sur certaines politiques ou méthodes qu'il juge trop radicales, la nomination de Lieberman risque donc d'alimenter les tensions entre le cabinet et l'armée. "Ce qui s'est produit", a estimé Ehud Barak en commentant les derniers événements, "est une prise de contrôle hostile du gouvernement israélien par de dangereux éléments". L'ancien ministre de la Défense, qui est aussi soldat le plus décoré d'Israël, a jugé que le pays était désormais "infecté par les graines du fascisme". Lors d'une conférence de presse dimanche, Benjamin Netanyahu a tenté de faire taire les critiques en rappelant qu'il était seul en charge de la direction politique du pays. "J'ai fait mes preuves en tant que Premier ministre", a-t-il déclaré. "J'entends beaucoup de voix, beaucoup de choses sont dites en politique." "FRUSTRATION IMMENSE" "Au final", a-t-il poursuivi, "c'est le Premier ministre qui dirige tout avec le ministre de la Défense, le chef d'état-major, et apparemment, je n'ai pas fait du mauvais travail pendant mes années de Premier ministre." Certains alliés du dirigeant de droite ont justifié la nomination de Lieberman en expliquant qu'il apporterait une "nouvelle manière de penser" au ministère de la Défense, mais la plupart des commentateurs évoquaient plus largement la direction politique prise par Israël. Benjamin Netanyahu est au pouvoir depuis plus de dix ans. Dans l'intervalle, le pays a basculé de plus en plus vers la droite, et sa coalition repose désormais sur le soutien des partis religieux orthodoxes et les partis ultra-nationalistes. Les pourparlers de paix avec les Palestiniens sont totalement interrompus, Netanyahu estimant que le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, n'est pas le bon partenaire pour négocier car il rejette la demande d'Israël d'être reconnu comme Etat juif. Dans le même temps, la construction d'implantations juives en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, territoires sur lesquels les Palestiniens veulent bâtir un Etat avec la bande de Gaza, se poursuit à un rythme soutenu. Les relations entre Israël et les Etats-Unis, leur plus proche allié, sont des plus tendues. Le vice-président américain, Joe Biden, a déclaré le mois dernier que l'administration Obama ressentait une "frustration immense" à l'égard du gouvernement israélien. Pour Roni Daniel, qui est considéré comme un pilier de la droite israélienne, quelque chose a fondamentalement changé. "C'est fini. Je ne convaincrai pas mes enfants. Ils vivront où bon leur semble. Mais si autrefois, cela aurait été un drame terrible pour moi, aujourd'hui, ça ne l'est plus." (Jean-Stéphane Brosse pour le service français, édité par Marc Angrand)