• La nuit des samouraïs

    La nuit des samouraïs

    Enfin du journalisme, du vrai, sur France 2.
     C'est dans "Envoyé spécial "une émission qui ronronne plus souvent qu'elle ne mord mais qui, hier, sur Fukushima, a offert aux téléspectateurs un traitement de l'information qui ne se trouve que sur le Net.
    Si Lauvergeon d'Areva, on a la noblesse qu'on peut, est tombée là-dessus, elle a dû s'étrangler, ce qui est une excellente nouvelle. Le directeur de la chaîne, à mon avis, a dû se faire fusiller. Aucun doute en effet : après avoir vu ce reportage, la France tout entière est anti-nucléaire.
    Oh ! Rien de révolutionnaire quand même mais ,simplement, en clair, l'illustration des dévoiements de Tepco et les souffrances humaines que cela fait naître.
    Les souffrances humaines...
     Et là, la supériorité de l'image, du témoignage, des visages en gros plans. Nous sommes sur place avec ceux dont cette catastrophe nucléaire a balayé la vie.
    Oui, nous sur le net, tout ceci nous le savions, mais voir les lieux, les victimes , on en a le coeur crevé. Mais quel malheur, mon dieu, quel malheur ! Quelle folie !
    Cela commence avec un éleveur de vaches qui ne sait rien , à qui l'on ne dit rien. C'est la spécialité du gouvernement Japonais. Ils abandonnent les gens qu'ils laissent crever à petit feu. Ca prendra le temps que ça prendra. Ceux de Minamisoma à qui on avait conseillé de se calfeutrer, on ne leur avait pas dit qu'il n'auraient rien à manger ni à boire, ce qui est une façon de régler le problème. Reste chez toi, mange-toi l'os et surtout ne va pas traîner dehors !
    Ce pauvre éleveur nous dit qu'un voisin a dû arrêter de produire du lait parce qu'on a trouvé qu'il était irradié. Et le sien ? Il n'en sait rien. Mais on lui a ordonné de le jeter. Donc, tous les jours, il va jeter son lait. A un moment assis par terre, il rit. Il dit :
    " C'est tellement énorme, insensé, je ne peux que rire, tellement c'est fou."
    Il a le visage buriné, tout étoilé de rides. On le voit au bout d'un champ en train de jeter son lait. Lait blanc. Terre rouge. Geste incongru. Le commentaire dit "Personne ne lui dit où jeter son lait contaminé."
    Puis, dans un gymnase, nous découvrons la calme misère des réfugiés. Ce qui m'a tué dans cette séquence c'est le regard de deux filles. Vous savez ce que c'est qu'un regard sans espoir ? Je n'ai jamais vu ça. Un regard mort. Tué. Sans lumière. Ca n'existe pas des yeux sans lumière. Et pourtant si. C'est la première mutation. Leur frère est liquidateur à Fukushima. On les sent accablées parce qu'elles vivent, par ce qu'il vit. Elles sortent pour parler avec le reporter parce qu'elles ne veulent pas dire ce que fait leur frère. Elles n'ont pas le droit d'en parler. Ah ! les silences du nucléaire.
    C'est le sujet du reportage."La filière du silence."
    Les journalistes ont donc du mal à rencontrer ces fameux liquidateurs. Ils obtiennent quand même un rendez-vous dans un hôpital où tous les jours une cinquantaine d'employés sont décontaminés. On leur montre des appareils de contrôle. "Ah ! Oui ! Ca, quand ils passent, tout les voyants sont au rouge !" Ils ne doivent pas rester plus de cinq heures. On leur en impose sept. Ou plus. Ce n'est pas de l'héroïsme. C'est de l'assassinat.
    Dans une caserne , on nous montre l'équipement de protection que les pompiers mettent pour aller sur les lieux . Je ne sais si vous avez vu les combinaisons que nous achetons chez Leroy-Merlin pour nous protéger de la peinture, ça y ressemble tout à fait ! Le modèle qu'on nous montre flotte au vent. On a l'impression que si on s'appuie un peu trop contre un mur tout est déchiré.
    Ce sont eux, les pompiers de la ville, qui ont été envoyés sur le site. Les fameuses lances dont on a tant ri, qui devaient inonder les piscines, ce sont les leurs. Oui, on riait. On disait : "Mais quels Mickeys, ces Japonais, quels pieds nickelés avec leurs lances à incendie !"
    On les voit ensuite sur le site, de nuit, au beau milieu d'un chaos indescriptible quand on leur dit de brancher leurs lances dans la mer pour inonder les réacteurs ! Nuit totale, donc. Dans un camion ils repèrent un endroit vaguement fréquentable, puis dans un dédale dont ils ignorent tout, dans un capharnaüm de destructions, ils doivent aller jusqu'à la mer pour brancher leurs lances !
    On s'est assez fichu de Tepco et de ses play-mobils avec leurs petites lances pour comprendre maintenant ce qu'est la réalité. Ce sont des gens comme vous et moi, balancés là-dedans, qui se retrouvent sur un site où ils jouent leurs vies. Soudain dans la nuit des couinements de compteur Geiger et des cris : "Vite, vite, sortez de là, c'est trop irradié ! Vite !" La peur et la mort un de ces jours. Voilà leur avenir . Ne rions plus
    Vient ensuite le héros de l'histoire. C'est un vieux Japonais qui, depuis toujours, a essayé de lutter contre Tepco. Avec les résultats que l'on imagine. C'est le dernier samouraï . Excusez-moi, je n'ai pas noté son nom et sur le site de France 2 ce reportage n'est plus disponible. (?) Si vous le trouvez, rendons-lui hommage. Il a reçu pendant des années des témoignages concernant des fautes graves sur les sites nucléaires. Ces lettres il les a gardées . Il nous les montre. Il est même dit qu'Hitachi, qui a fait un des réacteurs, l'a livré avec des malfaçons.
    Rendement, productivité, fric. On connaît le refrain.
    Un petit tour chez Tepco qui "communique" tous les jours pour donner des chiffres, s'excuser, avec une armée de robots aux voix monocordes. Pourquoi leurs dirigeants ne sont-ils pas en prison ? J'ai lu qu'un buraliste avait été condamné pour avoir vendu des cigarettes à une mineure. Donc, pour une mineure qui respire de la fumée, tu es puni et pour des millions de majeurs et de mineurs qui respirent du césium et du plutonium, tu continues à parader à la téle ? Ah ! L'injustice que nous avons à supporter ! Et dans tant de domaines ! Qu'elle aussi elle est étouffante !
    Un peu d'air...
    Le vieux monsieur nous emmène au bord de la mer. On nous montre une autre centrale qui se construit. Cachée derrière une dune de six mètres !!!! Oui, cette protection avait été présentée comme suffisante aux habitants du cru. Un homme se baisse et prend du sable avec sa main. Oui, ce n'est que du sable pour résister aux tsunamis du Pacifique !
    La caméra fait un travelling sur la côte, l'océan , les vagues et cet homme dit qu'il ne faut pas toucher à cette mer si poissonneuse, si belle pour les pêcheurs, les surfeurs, les enfants.
    Pauvre...
    Quel deuil ! Quelle effroyabe réalité qui ne nous quitte jamais ! Mais qu'ont-ils fait ! Quelle faute immense ! Quelle saloperie nous ont-ils accrochée aux tripes !
    Quelle pitié pour tous ces pauvres gens , pour l'humanité tout entière !
    Pendant ce temps, on apprend par une note interne que Lauvergeon dit qu'il faut tenir bon, ne reculer sur aucun projet. Comment font ces gens-là pour s'imaginer qu'ils sont au-dessus des catastrophes ? Que Fukushima,comme Tchernobyl, ne fera que quelques morts dont ils ne seront pas. Eux dans les bunkers de leurs fastes pourrissants ne sentant pas le mur de haine qui se dresse jour après jour contre leur inconscience, leur malhonnêteté, leur cupidité, leur définition d'un progrès dont nous ne voulons plus.
    Un vieux Japonais centenaire s'est suicidé. Parce qu'il ne voulait pas quitter ses terres...

    Il y a une chose que j'aimerais savoir : ce que sera Fukushima dans nos vies ? Une catastrophe qui aura fouetté nos consciences et nous aura permis d'éviter le pire ? Ou le pire lui-même ?

    Il y avait tant de simples beautés dans ce reportage. Des regards, des voix, des visages, des paysages, le simple quotidien, la simple vie détruite autour de Fukushima.

    La simple vie splendide de nos vies.

    Impardonnable.

    par Ariane Walter vendredi 15 avril 2011


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