• Le Grand d’Échiquier d’Asie Centrale_partie 6

    Le Grand d’Échiquier d’Asie Centrale_partie 6

    Le Balouchistan dans la ligne de mire des enjeux internationaux

    Qu’est-ce que la ligne Goldsmith ?

    On nomme la ligne Goldsmith la frontière internationale entre l’ancien grand royaume de Kalat (1695 à 1955) et la Perse qui a été établie en 1871 par la Compagnie des Indes britanniques. En accord avec les autorités perses, la ligne Goldsmith divisa l’aire de population baloutche en abandonnant plus d’un quart du Balouchistan à la Perse qui avait déjà conquis une large partie du territoire occidental du royaume de Kalat. Les informations demeurent très floues quand à l’origine exacte de ce Goldsmith ou Goldsmid selon Selig S. Harrison, directeur du Center for International Policy à Washington. Était-ce cet officier juif et intendant particulier du roi Edouard VII qui s’éleva au rang du commandant en chef de l’armée de la Grande-Bretagne en Afrique ? En accord avec les autorités afghanes, suite au tracé de la ligne Durand, le vieux royaume de Kalat, devenue la province autonome du Balouchistan britannique, est à nouveau morcelé en quatre états : Makran (sud), Kharan (centre), Las Bela (nord), et Kalat (ouest) qui n’était plus qu’un vestige. 

    un Baloutche qui s'en va en guerre

    Malgré le souhait d’un Balouchistan réunifié et indépendant proclamé par le roi Ahmad Yar Khan du Kalat, en 1948, l’armée pakistanaise intervient dans l’état du Kalat et un accord met tout de suite fin à son indépendance. Le frère du roi Ahmad Yar Khan, le prince Abdoul Karim refusa cet accord et entama une guérilla contre le pouvoir central. C’est la première guerre baloutche entre le natif Pakistan occidental et le mouvement nationaliste baloutche. Toujours sur des fonds ethniques, religieux et stratégiques, les Baloutches revendiquant plus d’autonomie ainsi qu’une plus juste répartition des richesses de leur territoire, la deuxième guerre baloutche a eu lieu en 1955, le troisième de 1958 à 1969 et la quatrième de 1973 à 1977 qui fut sans doute la plus violente, faisant 8.600 morts dont 5.300 Baloutches. L’invasion soviétique d’Afghanistan de 1979 qui entraîna un lot massif de centaines de milliers de réfugiés afghans dans le Balouchistan, fit passer les revendications baloutches au second plan. Le cinquième conflit baloutche a éclaté en 2004. 

    le Balouchistan

    Située au sud-ouest du pays, près de la frontière de l’Afghanistan, Quetta est la capitale de cette plus vaste province pakistanaise, 347.190 km² (42 %) – une superficie quasi équivalente à celle de l’Allemagne – des 800.000 km² du Pakistan, mais aussi la moins peuplée avec seulement 7,5 millions d’habitants dont 6,67 millions de Baloutches. De l’autre côté de la ligne Goldsmith, le Sistan-Balouchistan est la seconde plus grande province iranienne, avec une superficie de 181.600 km² (11 %) sur les 1 648.195 km² que compte l’Iran, une population d’environ 2,3 millions d’habitants dont 1,15 millions de Baloutches et son chef-lieu se nomme Zahedan. La province du Baloutchistan a le revenu moyen par habitant le plus bas du Pakistan, alors qu’elle est la plus riche, concentrant 20 % des ressources minières de cuivre, de fer, de zinc, d’uranium, de charbon et de gaz principalement, pour ces deux dernières ressources, dans la région de Sui. Le seul gisement de Sui représente 45 % de la production annuelle de gaz naturel du Pakistan. Pour donner un exemple concret de ces inégalités, Islamabad achète l’unité de gaz pour 170 roupies à la province du Sindh, pour 190 roupies à la province du Pendjab, et seulement pour 27 roupies à la province du Baloutchistan. Par ailleurs, seuls 4 des 26 districts du Balouchistan sont approvisionnés en gaz. En 2005, le gouvernement de Pervez Musharraf fait l’acquisition de terrains destinés à la construction de nouvelles garnisons militaires ou à l’extension de casernes dans les districts de Gwadar, Dera Bugti, Quetta, Khuzdar et de Kohlu, le bastion de la tribu des Marri la plus nationaliste, avec les Bugti et les Mengal. 

    Sunnites hanéfites comme le peuple pachtoune, les tribus baloutches sont des éleveurs nomades de langue iranienne. Ils auraient migré vers l’an 1000, depuis les bords de la Mer Caspienne, pour s’installer entre le désert du sud-est de la Perse et la Mer d’Oman. Les Baloutches iraniens, au sentiment anti-perse et anti-chiite semblable à celui qui existe à l’ouest dans la province iranienne du Khuzestan, ont également des relations très tendues avec le régime chiite de Téhéran se résumant, dans les grandes lignes, à l’oppression discriminatoire des sunnites de la part des institutions gouvernementales et, comme les Baloutches pakistanais avec Islamabad, les retombées de l’exploitation des mines d’or et de cuivre du Sistan-et-Balouchistan. 

    Toutes les routes mènent à Gwadar

    Gwadar

    Surnommé le « Gibraltar » sino-pakistanais par l’Inde, Gwadar est une petite ville d’à peine 54.000 habitants, située en bordure de la Mer d’Arabie de l’Océan Indien, à 100 kilomètres de la frontière iranienne. Ancienne enclave du Sultanat d’Oman jusqu’en 1959, Gwadar se trouve à l’est du Golfe Persique et son fameux Détroit d’Ormuz, long de 63 kilomètres et large de 40 kilomètres, où transite le pétrole d’Arabie Saoudite, du Koweït, du Qatar, des Émirats Arabes Unis, du Bahreïn et d’Irak. 17 millions de barils chaque jour, soit 2.400 pétroliers par an, passent par le Détroit d’Ormuz, d’une importance stratégique décisive dans le trafic international, selon les données du Département de l’Énergie américain. Une raison importante parmi d’autres, c’est pour anticiper à un éventuel blocage du Détroit d’Ormuz, par l’Iran comme probable mesure de riposte en cas d’agression sur son territoire par des forces étrangères, que la Chine a fait construire le port de Gwadar. 

    la « perle » pakistanaise de la Chine

    La « Phase One » du complexe portuaire ultramoderne en eau profonde à vocation civile et militaire de Gwadar a été inaugurée le 27 mars 2007, par le président Pervez Musharraf en personne. Gwadar permet à présent au Pakistan d’avoir une seconde base navale et un nouvel accès au commerce international mais aussi de décongestionner Karachi afin d’éviter un nouveau blocus comme en 1971 durant la Troisième Guerre indo-pakistanaise. Un aéroport international, un terminal pétrolier et une raffinerie, une zone spéciale dédiée à l’export et une autre à l’industrie en cours de construction s’ajouteront au port de Gwadar. Conçu pour durer, bâti pour briller comme une « perle » et financé à hauteur de 85 % des 1,2 milliards de dollars par la Chine, le nouveau port de Gwadar sert aussi à la Chine pour relier, via la liaison ferroviaire Dalbandin-Gwadar dans le Balouchistan qui se prolongera jusqu’à Rawalpindi dans le Penjab pakistanais, la longue route de Karakoram, d’environ 1.300 km de long, qui relie Havelian, dans la province NWFP du Pakistan, à Kashgar dans la province autonome ouïghoure du Xinjiang. Empruntant l’un des itinéraires de la Route de la Soie, la route de Karakoram, qui pourrait être doublée d’un oléoduc transpakistanais, est la plus haute route asphaltée du monde en franchissant le col de Khunjerab à 4.693 mètres d’altitude. D’ouest en est, un tronçon supplémentaire relie les villes de Kaboul, par la Passe de Khyber, Lahore, Peshawar et Islamabad, à la grande route transcontinentale qui traverse tout le nord de l’Inde, vers Amritsar, au Penjab indien, à Sonargaon dans le Bengale occidental. Le Pakistan et l’Ouzbékistan prévoient de construire une route et une voie ferrée pour relier l’Ouzbékistan à la route de Karakoram. 

     

    La chimère TAP

    Dans le contexte géostratégique terrestre d’Asie Centrale, en observant la carte avec du recul, toutes les zones instables indo-pakistanaises, du Cachemire à travers la province NWFP, en passant par celle du FATA jusqu’au Balouchistan, paralysent autant l’accès au pétrole iranien à la Chine que le projet iranien du gazoduc IPI (Iran-Pakistan-Inde), censé être opérationnel en 2015 si les travaux débutent bel et bien en 2010. 

    les différentes zones de conflits du Cachemire au Balouchistan en passant par le Pachtounistan

    Le gazoduc IPI évite donc l’Afghanistan instable mais traverse tout le territoire sud-pakistanais depuis la ville iranienne d’Assuliyeh, près du gisement de South Pars, à la ville indienne de Barmer dans la province du Rajasthan, soit 2.775 kilomètres. Il y a peu, cette situation à hauts risques était encore du pain béni pour l’Amérique du Nord et l’Europe tous impatients d’enfin pouvoir se lancer dans la construction d’un gazoduc transafghan reliant la ville turkmène d’Ashgâbât à Gwadar et/ou au terminal indien de Dabhol selon le vieux tracé d’Enron ou d’Unocal avec le gazoduc TAP (Trans Afghanistan Pipeline) d’Achgâbât à Karachi devenu, en 2008, le gazoduc TAPI (Turkménistan-Afghanistan-Pakistan-Inde). Les gazoducs IPI d’Iran et TAPI de l’Occident nourissent par conséquent une grande rivalité que les médias n’osent pas en parler. 

    les tracés des gazoducs IPI (blanc) et TAP (rouge)

    un autre tracé du gazoduc TAP (Trans Afghanistan Pipeline)

    Le vieux projet de gazoduc transafghan TAP est débattu sur de nombreux forums, même sur Facebook, depuis des années. Rappelons que la société californienne Unocal, intéressée par l’Afghanistan dès 1993, a offert son soutien aux Taliban durant la guerre civile contre l’Alliance du Nord. Ils négocièrent par l’intermédiaire de la société américano-saoudienne Delta Petroleum, dont les liens supposés avec la CIA et les services secrets d’Arabie Saoudite n’ont jusqu’à ce jour jamais été ni prouvés ni démentis. Le projet d’Unocal fut d’abord menacé par la société argentine Bridas, dont l’ancien président Carlos Bulgheroni noua une relation de confiance avec les Bhutto au Pakistan et pu négocier plus habilement que les Américains et directement avec les différentes factions tribales d’Afghanistan. Puis, le projet du gazoduc TAP fut officiellement abandonné en 1998 lorsque Washington prit ses distances avec le nouveau régime de Kaboul à cause peut-être des révélations dans la presse des pratiques auxquelles se livrèrent les Taliban et des réactions qu’elles suscitaient au sein de l’opinion publique. Rappelons aussi que, selon des informations révélées par le journal Le Monde, le président Hamid Karzaï aurait été autrefois un conseiller d’Unocal. Le 11 septembre 2001 réactiva le projet d’Unocal avec cette fois le soutien de la Banque Asiatique de Développement (ABD) qui s’était engagé à en financer une partie. En mai 2002, le redémarrage officiel du projet TAP est annoncé par les trois présidents d’Afghanistan, du Pakistan, et du Turkménistan réunis à Islamabad. Des doutes commencent alors à planer sur la capacité du Turkménistan à honorer ses engagaments à cause notamment de la Russie qui achète 80 % du gaz turkmène et les premières négociations avec la Chine dont le projet faramineux d’un long gazoduc TOKC, de 1.833 kilomètres, traversant l’Ouzbékistan et l’immense Kazakhstan jusqu’au Xinjiang. Qui plus est, le tracé du gazoduc TAP traverse le Talibanistan et le conflit afghan n’est toujours pas fini. Après les trois inaugurations, en 2001, de l’oléoduc CPC (Caspian Pipeline Consortium) qui relie le gisement kazakh de Tengiz au port russe de Novorossiisk sur la Mer Noire, en 2006, de l’oléoduc BTC (Baku Tbilissi Ceyhan) et, en 2007, du gazoduc SCP (South Caucasus Pipeline) qui relie Baku à Erzurum via Tbilissi, tous les trois dans des régions stables, l’itinéraire choisi pour le gazoduc TAP perd beaucoup de son intérêt et le projet passe à nouveau au second plan. C’est à croire qu’il est maudit mais dans un nouveau coup de théâtre, en octobre 2008, le cabinet britannique Gaffney Clines and Associates (CGA) publie les résultats de son audit ne concernant que les réserves de la partie est du Turkménistan. Le seul gisement d’Osman-South Yoloton contiendrait déjà entre 4 et 6 tcm (trillions de mètres cube) de gaz, ce qui en fait le quatrième gisement au monde. Cet audit rassure les investisseurs américains, chinois et indiens sur les capacités du Turkménistan à produire, sur le long terme, les volumes pour lesquels il s’était engagé. Malgré toutes les difficultés cumulées, les risques et les retards, le vieux projet d’Unocal n’est pas encore abandonnée. Il a déjà 15 ans mais la construction n’a même pas encore débuté. 

    le réseau de pipelines (gazoducs et oléoducs) vers l'Europe

    Source de la carte : « Grand jeu » autour du pétrole et du gaz (Philippe Rekacewicz)

    Pourquoi alors cela n’est plus que du pain moisi ? Premièrement, deux jours après l’inauguration de la partie kazakhe du gazoduc TOKC (Turkménistan Ouzbékistan Kazakhstan Chine), la partie turkmène a été inaugurée, le 14 décembre 2009, au cours d’une grande cérémonie à Saman-Depe avec les quatre présidents concernés, Hu Jintao de la Chine, Gurbanguly Berdimuhamedov du Turkménistan, Islam Karimov de l’Ouzbékistan et Noursoultan Nazarbayev du Kazakhstan [28]. Et deuxièmement, en dépit de toute la calomnieuse propagande anti-iranienne, les États-Unis menaçant le régime des mollahs de nouvelles sanctions depuis plusieurs années et prétendant que « Téhéran se trouve de plus en plus isolé », le 6 janvier 2010, le Turkménistan a finalement décidé d’attribuer la totalité de ses exportations de gaz à la Chine, la Russie et l’Iran. Un événement majeur dans le Grand Échiquier qui est totalement passé inaperçu dans la presse occidentale tellement son importance était lourde de conséquences avec le bourbier afghan ayant pris, ici, une nouvelle proportion calamiteuse. Avec l’inauguration du gazoduc DSK (Dauletabad-Sarakhs-Khangiran) qui relie le nord de l’Iran dans le bassin de la Mer Caspienne, puis par ramification vers la Turquie par le gazoduc existant, long de 2.577 km, entre Tabriz, au nord de l’Iran, et Ankara, le président turkmène Berdymukhammedov n’est plus vraiment intéressé par les différents projets de tracés transafghans proposés par les États-Unis et l’Union Européenne. Dans une politique multivectorielle comme le Kazakhstan, le Turkménistan compte dorénavant bien profiter du vaste réseau de pipelines iraniens pour développer de nouvelles voies d’acheminement de gaz vers le reste du monde. 

    Peut-on alors dire que le projet ancestral d’Unocal a été tué dans l’oeuf ? Avant de l’enterrer hâtivement, n’oublions pas qu’il a su traverser de nombreux obstacles en bientôt deux décades. La chimère TAP a fait dépenser des quantités astronomiques d’argent, a été débattu pendant des milliers d’heures en diplomatie et en négociations, et a coûté la vie à des milliers de militaires. Dans ces circonstances, la décision turkmène signifie surtout que cela risque de fortement aggraver la sécurité dans toute la région dont le Balouchistan et probablement d’avantage du côté iranien de la ligne Goldsmith que pakistanais. La défaite assurée de l’OTAN en Afghanistan et les nouveaux retards qui seront occasionnés par l’hypothétique pacification du Talibanistan sont deux principaux facteurs que les investisseurs vont devoir prendre en compte avant de revoir l’éventualité d’exploiter le corridor énergétique afghan sérieusement compromis. L’échec du conflit amplifié à présent de cet accord turkmène sera dur à digérer pour les impérialistes atlantistes qui, en plus des 30.000 nouveaux soldats américains déployés par Barack H. Obama, avaient déployé énormément d’efforts dès le lendemain de l’effondrement de l’URSS lorsque les compagnies pétrolières occidentales commencèrent à prendre pied tout autour de la Mer Caspienne pour s’y accaparer les riches ressources énergétiques au nez de la Chine et de la Russie [29]. 

    Opportunisme baloutche ou ingérence au Balouchistan ?

    Avant de définitivement quitter le Pakistan pour aller faire un petit tour en Iran et ensuite prendre la mer, récapitulons un instant quelques uns des derniers incidents qui se sont produits de part et d’autre la ligne Goldsmith. Le cinquième conflit baloutche aurait débuté, entre les mois de mai et de juin 2004, avec les mêmes révendications indépendantistes ainsi que l’arrêt des constructions des nouvelles installations militaires de l’armée pakistanaise et du complexe portuaire de Gwadar qui voit l’arrivée massive de Pendjabis, des non-Baloutches et des Chinois pour travailler sur le chantier. Les premiers incidents imputés aux différents mouvements séparatistes de la rébellion baloutche ont éclaté de mai à août 2004. Le 3 mai, 3 Chinois sont tués dans un attentat à la voiture piégée. 11 personnes, dont 9 Chinois, sont également blessées. Le 6 juin, 2 personnes sont tuées et deux autres blessées suite à l’explosion d’une mine dans le district de Kohlu. Le 19 juin, un attentat à la bombe détruit le terminal de l’aéroport de Sui. Le 27 juin, 2 policiers et 3 baloutches sont tués au cours de combats à Maiwand. Au total, 120 attaques à la roquette ont déjà été enregistrées pour le seul mois de juin. Le 2 juillet, 7 membres des Frontier Constabulary sont blessés dans l’explosion d’une mine dans la région de Sui. Le 18 juillet, le leader et membre de l’Assemblée nationale, le maulana Muhammad Khan Sherani, échappe à une tentative d’assassinat dans le district de Qilla Saifullah. Le 1er août, 5 soldats et un civil sont tués par 3 hommes armés qui attaquent leur véhicule à proximité de Zinda Pir, sur la route menant à Khuzdar, à proximité d’un cantonnement militaire. Revendiquée par l’Armée de Libération du Baloutchistan (ALB) en réponse aux opérations militaires menées dans la région de Turbat et à la construction d’infrastructures militaires. Le 2 août, le gouverneur de la province, Jan Mohammad Youssouf, échappe à un attentat près de Surab, à 180 kilomètres au sud-ouest de Quetta. Le 14 août, le jour de l’indépendance du Pakistan, 14 explosions retentissent à Quetta. 

     

    le leader baloutche Nawab Muhammed Akbar Bugti

    Un combat se mène sur plusieurs fronts à la fois. Le mouvement pour la revendication des droits des Baloutches n’est pas seulement composé de cellules autonomes de combattants séparatistes mais aussi d’un mouvement politique s’adonnant à des marches de protestation et des manifestations pacifiques. Le mouvement politique est divisé en quatre partis : Jamhoori Watan Party, National Party, Baloutchistan National Party essentiellement composée par des membres de la tribu Mengal et Baluch Haqtawar. Tous ne désirant pas l’indépendance du Balouchistan, les quatre partis séparatistes ont essuyé les critiques de la part d’autres Baloutches nationalistes issus de l’alliance entre le parti pro-Mucharraf et les islamistes de la Muttahida Majlis-e Amal. Avec les autres incidents au Talibanistan, la guerre dans les zones tribales du FATA et NWFP qui vient également d’éclater, le Pakistan d’une main dialogue avec les quatre partis séparatistes et de l’autre accroit sa répression pour anéantir la guérilla indépendantiste mais les attaques tribales ne s’arrêtèrent pas pour autant et le rythme augmenta. Le 17 décembre 2005, lors de l’inauguration de la nouvelle base militaire de Kohlu, le président Pervez Mucharraf avait été accueilli par des tirs de roquettes. L’armée lança des opérations de représailles visant la population civile. Sous le prétexte du viol d’une doctoresse par des agents de la sécurité du gisement gazier de Sui, la tribu Bugti, encouragée par leur chef Nawab Muhammed Akbar Bugti et soutenue par l’ALB, a lancé une grande opération contre les installations du gisement de Sui qui représente 45 % de la production annuelle de gaz naturel du Pakistan. Bénéficiant de l’aide des tribus Mengal, Mazai et Marri qui campaient à proximité de Sui prêtes à intervenir, ce sont plus de 450 roquettes et 60 obus de mortiers qui ont été tirés durant l’opération entraînant de lourdes conséquences pour Karachi qui a connu des coupures quotidiennes et une chute de la production industrielle de 25 %. Localement, des conduites de gaz ont été endommagées provoquant la fermeture de la principale installation fournissant en gaz les provinces environnantes. 8 personnes ont été tuées, dont trois membres des forces de sécurité du site, et 35 autres ont été blessées. De plus, 12 employés de l’Autorité de l’eau et de l’électricité pakistanaise ont été enlevés pendant plusieurs jours avant d’être libérés le 14 janvier 2006. 

    Face à la troublante technicité opérationnelle des tribus baloutches unies risquant de s’étendre en Iran et de menacer le réchauffement avec New Dehli, Islamabad, craignant un réveil du vieux conflit indépendantiste, donne l’ordre à 1.000 paramilitaires du Frontier Corps de se déployer dans la région du Sui pour sécuriser l’important site gazier. Entre temps, le 11 janvier 2006 et d’après le rapport d’une commission pakistanaise des droits de l’Homme, 12 personnes ont été exécutées par des paramilitaires du Frontier Corps dans le village de Pattar Nala. Des représailles qui avaient fait suite à l’explosion d’une mine à proximité du Pattar Nala, quelques heures plus tôt, ayant coûté la vie à plusieurs paramilitaires. Deux « anciens » du village désignés pour aller chercher les corps à la base de Kohlu ont également été abattus. Finalement, 14 dépouilles ont été remises aux femmes de Pattar Nala. L’escalade s’est poursuivie dans les mois qui suivèrent, le dimanche 2 avril 2006, deux explosions quasi-simultanées se sont produites dans une ferme gérée par des paramilitaires, dans le district de Kohlu, tuant trois civils, un homme, une femme et une fillette et faisant sept blessés. Dans le district de Bolan, au centre de la province du Balouchistan, cinq policiers et un civil membre d’une société chargée de la sécurité d’un site pétrolier et gazier ont été tués dans un attentat à la bombe, a indiqué Mohammed Anjoum, responsable de la police tribale. Dans la district voisin de Nasirabad, une nouvelle explosion d’une mine au passage d’un tracteur tue le conducteur et blesse deux personnes, selon la police tribale. Le lundi 4 avril 2006, un démineur appartenant aux paramilitaires du Frontier Corps a été tué alors qu’il tentait de désamorcer un engin piégé dans le village de Taraman, dans le district de Kohlu. Enfin, un camion-citerne d’eau des forces paramilitaires a sauté sur une mine à proximité des champs de gaz de Loti. Deux paramilitaires ont été blessés. 

     

    la capitale provinciale Quetta

    La mèche de la cinquième guerre baloutche est allumée – par qui là est la question – et ne désempilla plus. Le mardi 14 avril 2009, on pouvait encore lire dans l’AFP que l’assassinat de 3 leaders politiques de l’alliance nationaliste, dont les corps avaient été retrouvés à Turba, une ville du sud-ouest de la province, provoqua une grève générale à Quetta qui tourna en de violentes émeutes ayant fait une vingtaine de morts, et à la paralysie de toute la région. Les manifestants s’en étaient alors pris aux commissariats de police et aux forces de l’ordre mais aussi à des voitures de l’ONU, à des agences bancaires et à des bâtiments gouvernementaux. Les autoroutes menant à Quetta étaient bloquées. Les activistes baloutches ont accusé les services secrets pakistanais de l’assassinat des 3 leaders politiques mais le gouvernement démentit ses accusations. Les exploitations économiques et installations gouvernementales étaient d’ailleurs toujours prises pour cibles. Le samedi 11 avril 2009, l’ABL revendiqua l’assassinat de six ouvriers qui travaillaient dans une mine de charbon. L’autopsie de leur corps avait démontré qu’il s’agissait d’une exécution, les ouvriers ayant tous les six été tués d’une balle dans la tête. Tout comme un Américain qui fut detenu en otage, pendant deux mois, par un prétendu mouvement nationaliste, ce qui parait fort étrange compte tenu de la position des nationalistes, les incidents qui ont progressivement commencé à dégénérer dans toute la province sont devenus de plus en plus curieux, en tournant au désavantage du Pakistan et accentuant ainsi sa déstabilisation par ce nouveau foyer du Balouchistan. « (…) mentionnons en outre le Front du Baloutchistan uni né en 2003 et basé à Londres (toujours cette étonnante concordance de date). » [30] Même une guérilla de ce type coûte de l’argent, beaucoup d’argent sur le long terme. Un comble pour une province si pauvre qui ne bénéficie même pas des retombées économiques de leur riche sous-sol car ce n’est sûrement pas l’impôt sur le transit de l’opium vers l’Iran qui suffirait à financer les roquettes, les mortiers des opérations de la rébellion baloutche. 

    Iraniquement votre

    C’est pour ainsi dire à la même époque de l’inauguration de la base de Kohlu en décembre 2005 que les premiers incidents ont eu lieu de l’autre côté de la ligne Goldsmith, dans la province iranienne du Sistan-et-Balouchistan. Je renvoie à la pertinente remarque sur la concordance de date de Jean-Michel Vernochet. En respectant la chronologie des faits, le 15 décembre 2005, deux gardes du corps du cortège du président Mahmoud Ahmadinejad ont été tués par des bandits dans la région de Sahevan. Deux semaines plus tard, le 31 décembre 2005, le Joundallah (les Soldats de Dieu), de confession sunnite, avaient enlevé neuf soldats iraniens, près de la frontière pakistanaise, lors d’une attaque d’un poste de police. La liste des attentats publiée sur de nombreux sites se poursuit. En mars 2006, 22 personnes, qui circulaient sur une route proche du Pakistan, avaient été tuées. Le même mois, un attentat à la bombe qui a eu lieu à Tasuki fut suivi d’une prise d’otages. Dix sept personnes ont été condamnées à mort pour cet attentat précis. En mai 2006, l’attaque contre quatre véhicules du convoi du gouverneur de la province du Sistan-Baloutchistan avait fait 12 morts dans la province voisine de Kerman. Une voiture piégée avait explosé le 15 décembre à Zahedan, à la veille des élections locales, ne faisant là qu’une seule victime. Pour tenter de mater cette rébellion, le gouvernement iranien avait choisi de répondre par la répression en exécutant publiquement par pendaison sept membres présumés du Joundallah qui auraient pris part à la tuerie des 22 personnes de mars 2006. Nouvelle mesure qui n’a visiblement pas eu l’effet dissuasif souhaité par Téhéran car le mercredi 14 février 2007, à Zahedan, un nouvel attentat à la bombe contre un autobus des Pasdarans, les Gardiens de la Révolution Islamique, faisait 42 victimes dont 11 morts. Le 28 mai 2009, revendiqué par le Joundallah, un énième attentat contre une mosquée chiite de Zahedan a fait 25 morts et une centaine de blessés graves. Téhéran, implaccable, répond le 1er juillet par 13 pendaisons [31]. 

     

    Abdolmalek Rigi, le leader du Joundallah

    D’après les informations du site Geostratos, le 31 mai 2009 sur Rang-A-Rang TV, le leader du mouvement, Abdolmalek Rigi, a déclaré que le Joundallah avait signé un accord avec l’OMPI (Organisation des Moudjahidins du Peuple d’Iran), une autre organisation terroriste basée en France qui existait déjà en 1979 lors de la Révolution Islamique d’Iran et protégée, en Irak, par les troupes d’occupation anglo-saxonnes jusqu’au 28 juillet 2008. Un accord échangeant des renseignements nécessaires aux attentats fournis par l’OMPI au Joundallah contre le transit de personnes de l’OMPI en Iran. Toujours selon Abdolmalek Rigi, le rapprochement entre l’OMPI et le Joundallah aurait été opéré par l’intermédiaire d’Abu Omar al-Baghdadi, le leader d’Al-Qaïda en Irak [32]. Le 12 juin 2009, jour des élections présidentielles, éclate une nouvelle révolution de couleur, la Révolution de Velours ou Révolution Verte, avec les mêmes caractéristiques que les Révolution des Roses en Georgie du 23 novembre 2003, Révolution Orange en Ukraine du 22 novembre 2004, Révolution du Cèdre au Liban du 14 février 2005, Révolution des Tulipes au Kyrgyzstan du 24 mars 2005, Révolution Safran en Birmanie en août 2007 [33] ainsi que les autres en Azerbaïdjan dès mars 2005 [34], en Ouzbékistan en mai 2005 [35], en Mongolie en juillet 2008 [36], en Moldavie en avril 2009 [37]. « Ces révolutions se sont toutes déroulées suivant le même mécanisme : au moment où le pouvoir en place tentait de se renouveler, les partis d’opposition, soutenues par de puissantes ONG locales, ont contesté le résultat des élections et bloqué le pays par des manifestations pacifiques. Cette dynamique des sociétés civiles a débouché sur la chute du pouvoir et son remplacement par des équipes gouvernementale proaméricaines. » [38] 

     

    Abdolhamid Rigi

    Temporairement sorti du couloir de la mort, Abdolhamid Rigi, le frère d’Abdolmalek Rigi, a déclaré : « Les Etats-Unis ont créé et soutenu Joundallah et nous recevions nos ordres d’eux », lors d’une conférence de presse, en août 2009, dans un bâtiment gouvernemental de la ville de Zahedan. Il a ajouté que les Etats-Unis nous disaient : « qui frapper et ne pas frapper. (…) Ils disaient qu’ils allaient nous fournir tout ce dont nous avions besoin en terme d’argent et de matériel » [39]. Ces accusations rejoignent les éclaircissements de l’enquête de Seymour Hersh, publiée par The New Yorker, le 7 juillet 2008, et reprise par Le Monde, signalant que les chefs de file républicains et démocrates du Congrès américain auraient accordé, fin 2007, au président George W. Bush les financements nécessaires à l’intensification des opérations secrètes contre l’Iran en vue de déstabiliser le régime des mollahs. Pour appuyer ses dires, Seymour Hersh cita Robert Bear, un ancien chef d’antenne de la CIA au Kurdistan : « le groupe armé sunnite iranien Joundallah ferait partie des groupes bénéficiant du soutien des services américains ». Ainsi que dans Le Monde Diplomatique paru précédemment, en octobre 2007, où Selig S. Harrison a détaillé le mécanisme utilisé par la Maison Blanche dans son offensive de déstabilisation de l’Iran directement de l’intérieur « en aidant des groupes séparatistes, qu’ils soient arabes, kurdes, baloutches ou azéris ». Dernier fait en date, le dimanche 18 octobre 2009 où l’attentat-suicide le plus meurtrier a eu lieu à Pishin et a fait 41 tués dont plusieurs hauts commandants locaux du corps d’élite des Pasdarans. Sept commandants des Gardiens de la Révolution Islamique parmi lesquels le général Nour-Ali Shoushtari, adjoint du commandant de l’armée de terre des Gardiens de la Révolution, le général Rajab-Ali Mohammad-Zadeh, commandant pour le Sistan-Balouchistan, le commandant des Gardiens pour la ville d’Iranshahr et le commandant de l’unité visée, Amir-al Momenin, ont été tués dans cet attentat. L’article du géopolitologue Jean-Michel Vernochet, intitulé « Attentat au Sistan-Balouchistan… un acte de guerre décisif ? » auquel certaines données ont été reprises ci-dessus, paru au lendemain de ce dernier attentat et repris par de nombreux sites, nous informe qu’« il existe depuis juillet 2005 un projet de gazoduc irano-indien (IPI) devant passer à travers le Baloutchistan, projet qui s’est, en toute logique géostratégique, heurté à une vive hostilité de la part du Département d’État » [40]. Cela se passe de tout commentaire.


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